Texte élaboré par le Groupe Thématique Atmosphère de l’alliance AllEnvi
Dès les premières semaines du développement de la pandémie COVID‐19 en Europe, l’hypothèse d’un lien entre la pollution atmosphérique aux particules fines et la propagation de la contamination au SARS‐CoV‐2 a été émise et a reçu un écho particulièrement important dans les médias et les réseaux sociaux, alors que la communauté scientifique l’accueillait avec la circonspection qui s’impose.
Un rapport [1] signé de quelques universitaires Italiens publié en ligne soutient que la propagation du COVID‐19 dans la population aurait pu être favorisée par les concentrations élevées de particules fines rencontrées dans le Nord de l’Italie (Lombardie, Piémont, Vénétie et Emilie‐Romagne). Ce document, publié en dehors des processus qui garantissent la robustesse des résultats scientifiques, s’appuie sur des corrélations dont la pertinence a été très fortement remise en question par une déclaratio [2] signée de dizaines de scientifiques la Societa Italiana di Aerosol (SIA). Cet appel à la rigueur et à la prudence a été relayé en France par une déclaration de l’Infrastructure de Recherche ACTRIS‐France [3]. Néanmoins, une exposition médiatique internationale sans nuance a conduit à ce que soit présentée comme acquise la théorie selon laquelle la propagation de la maladie COVID‐19 dans la population ait pu être favorisée par les concentrations atmosphériques élevées de particules fines. Ces derniers jours ont d’ailleurs vu des annonces politiques ou opérationnelles justifiées par ce « risque ».
Si l’on s’appuie sur les tout derniers résultats scientifiques (publiés ou prépubliés) quant à l’évaluation de la possibilité de transmission aéroportée de la contamination au SARS‐CoV‐2, il faut commencer par distinguer d’une part
- l’existence d’un processus liant la pollution aux particules fines et la propagation de l’infection au SARS‐CoV‐2, et d’autre part
- la possibilité d’une transmission aéroportée du virus.
Dans le premier cas, certains auteurs [1] ont cherché à corréler les niveaux de pollution aux particules fines avec l’occurrence des cas de contamination COVID‐19. Cette hypothèse, qui semble motivée par une volonté de présenter la pollution aux particules comme un accélérateur de la contamination, a été unanimement considérée comme peu robuste. D’une part parce que les corrélations mises en avant reposent sur des séries de données, des périodes de temps, une étendue spatiale, une variabilité de densité de population et une diversité météorologique trop limitées et d’autre part parce qu’elle ignore des éléments solidement établis de la physique des aérosols. Ces auteurs avancent que les particules fines de pollution pourraient servir de vecteur au virus. Ce mécanisme hypothétique est largement rejeté car les probabilités pour qu’une particule de pollution et une particule contenant du virus coagulent pour ne faire qu’une seule particule sont très faibles. Les calculs montrent que la probabilité de coagulation de particules fines est pratiquement négligeable à échéance de plusieurs heures lorsqu’on est en dessous de concentration de plusieurs dizaines de milliers de particules par centimètre‐cube (#/cm3). Ces concentrations sont souvent dépassées très près des sources (sorties de cheminée, de pot d’échappement, fumée de cigarette…) mais extrêmement rarement lors de situations de pollution atmosphérique. De l’autre côté, la concentration des particules contenant du virus dans l’air exhalé est estimée s’étendant de 0,06 à 3 #/cm3 par seconde [4]. Des calculs simples montrent donc que la probabilité de retrouver des particules résultant de la coagulation de particules de pollution d’une part et de particules d’origine ventilatoire de l’autre est très faible.
En l’état des connaissances, si une rétroaction de la pollution atmosphérique sur la pandémie existait, son mécanisme serait plus probablement lié à une plus grande sensibilité des populations exposées à la pollution aux particules fines. Selon cette hypothèse, l’effet pourrait ne pas être nécessairement visible sur le nombre de cas mais peut‐être sur la gravité des cas et les corrélations pourraient ne pas être établies avec les situations de pollution rencontrées au moment de la contamination mais plutôt avec l’exposition à long terme. C’est la piste suivie par une équipe d’Harvard [5] qui prépublie une étude épidémiologique montrant qu’il existe de nombreuses comorbidités au COVID‐19 dont certaines sont aggravées par l’exposition de long terme à la pollution particulaire atmosphérique. Ils associent ainsi, aux Etats‐Unis, une augmentation de 8 % de la mortalité par le COVID‐19 à une augmentation
d’1 μg/m3 de l’exposition de long terme aux particules de diamètre inférieur à
2,5 μm (PM2.5). Du fait de son importance, ce chiffre de 8 % a été contesté et fait depuis l’objet de contre‐études actuellement en cours.
Dans le second cas,qui concerne le risque de transmission aéroportée du virus, le fait qu’il soit peu probable que le virus « utilise » la pollution particulaire comme vecteur ne présume nullement que celui‐ci ne puisse être transporté à longue distance.
En effet, les derniers résultats scientifiques semblent indiquer que celui‐ci n’a sûrement pas besoin de vecteurs pour être transporté bien au‐delà des deux mètres qui ont été largement médiatisés. Cette propriété est d’abord soutenue par les caractéristiques physiques des émissions oro‐pharyngées d’aérosol contenant le virus. En effet, il y a un faisceau très clair de résultats qui montrent qu’il est sûrement faux de considérer que le virus serait essentiellement contenu dans des particules de très gros diamètre (disons très supérieur à 10 micromètres ‐ type « postillon ») comme on a pu le penser au début de la pandémie. Les études récentes [6] montrent que celui‐ci se trouve également, si ce n’est majoritairement, au sein de particules de l’ordre de quelques microns à 0,5 μm de diamètre (nb : le virus seul a un diamètre de l’ordre de 0,15 μm mais ne circule pas sans une gangue de mucus desséchés). Ces particules sont exhalées en permanence et ont ‐ comme toutes les particules de petite taille ‐ une grande capacité à être transportée et une vitesse de chute pratiquement négligeable (contrairement aux postillons). Il commence ainsi à y avoir des mesures [7] loin des sources de contamination qui montrent la présence de l’ARN du virus dans des échantillons d’aérosols (6 échantillons positifs sur 34 collectés dans un site industriel à Bergame, Italie). Des prélèvements se sont également révélés positifs sur les pales du système de ventilation de chambre COVID‐19 à Singapour bien que les prélèvements d’air se soit eux révélés négatifs [8]. Dans le même esprit, des prélèvements d’air dans différents secteurs hospitaliers à Wuhan ont été trouvés positifs au SARS‐CoV‐ 2 [6] [9]. A l’inverse des prélèvements d’air à quelques mètres de malades COVID‐19 (2 à 5 m) dans un hôpital en Iran se sont révélés négatifs [10].
La détection d’ARN du SARS‐CoV‐2 dans l’aérosol ambiant ne présume pas de sa capacité contaminante. Il est en effet nécessaire qu’il ait conservé son activité pathogène. Or, il a été montré qu’il est probable que le virus en phase aérosol reste « actif » c’est‐à‐dire conserve sa capacité de réplication pendant plusieurs heures (de 3h [11] à 16h [12] selon deux études) – un temps suffisant pour qu’un aérosol de taille inférieure à 2,5 μm soit transporté sur une distance considérable. Néanmoins, la capacité à être transporté à longue distance et le fait qu’il reste « actif » sont certes des conditions nécessaires mais pas suffisantes pour conclure sur un risque de bioaérocontamination à distance.
En effet, compte tenu des faibles concentrations exhalées par les émetteurs et de la dilution lors du transport, on ne sait pas encore si les quantités potentiellement inhalées par un récepteur sont suffisantes pour être infectieuses. A ce sujet, il n’y a encore aucun élément probant même si l’on multiplie les études de cas. Le cas largement popularisé de l’impact probable de la circulation de l’air dans un restaurant de Wuhan [13] par exemple, ne peut être retenu du fait des distances mise en jeu entre les personnes contaminées (quelques mètres au plus) et leur activité spécifique au moment supposé de la contamination (se nourrir).
En conclusion, en l’état actuel des connaissances – qui progressent très rapidement – même si les premières hypothèses de Setti et al [1] peuvent être écartées, on ne peut exclure la possibilité de contaminations aéroportées par le SARS‐CoV‐2 sans pour autant tenir cette possibilité comme établie.
Il apparaît indispensable et urgent que ces recherches soient approfondies par des combinaisons d’études épidémiologiques, d’études de cas et d’études de processus mêlant approches in situ et en laboratoire. Dans ce domaine, le réseau des infrastructures de recherche atmosphérique pourra certainement être un atout fort pour les communautés françaises. Egalement, il apparaît clairement que des stratégies innovantes de pluridisciplinarité devront nécessairement être trouvées.
Si la communauté scientifique doit regarder sans a priori le risque de transmission aéroportée du virus SARS‐CoV‐2, la prise en compte de ce risque par le grand public et les décideurs doit se faire en appliquant un principe de précaution global et non pas circonscrit à ce seul risque potentiel. Il serait en effet catastrophique que cette hypothèse conduise à la remise en cause théorique de la nécessité de la distanciation physique qui semble être, avec le port d’un masque protecteur – même imparfait, la seule politique qui ait montré, jusqu’ à présent, quelque efficacité.
Même si l’ampleur des effets de l’exposition long terme à la pollution particulaire atmosphérique sur l’augmentation de la mortalité par le COVID‐19 est encore discutée aujourd’hui, elle constitue très probablement, comme pour d’autres virus respiratoires, un facteur aggravant de comorbidité. Nous attirons l’attention sur la nature particulière de la pollution atmosphérique : si l’on peut porter une attention renforcée à ce que l’on mange, ce que l’on boit ou ce que l’on touche, il est beaucoup plus difficile de contrôler ce que l’on respire (on notera qu’un être humain « filtre » environ 12 kg d’air par jour), cette caractéristique intrinsèque appelle à des réponses globales et sur le long terme pour réduire ce risque de santé publique.
[1] Position paper : Relazione circa l’effetto dell’inquinamento da particolato atmosferico e la diffusione di virus nella popolazione ; Leonardo Setti ; Fabrizio Passarini ; Gianluigi de Gennaro ; Alessia Di Gilio ; Jolanda Palmisani ; Paolo Buono ; Gianna Fornari ; Maria Grazia Perrone ; Andrea Piazzalunga ; Pierluigi Barbieri ; Emanuele Rizzo ; Alessandro Miani, NOT PEER REVIEWED
[2] Informativa sulla relazione tra inquinamento atmosferico e diffusione del COVID‐19, Societa Italiana di Aerosol, 20 mars 2020
[3] https://www.actris.fr/propagationdusars‐cov‐2etparticulesatmospheriques/
[4] Asadi, S., Wexler, A.S., Cappa, C.D., Barreda, S., Bouvier, N.M. and Ristenpart, W.D. (2019). Aerosol emission and superemission during human speech increase with voice loudness. Sci. Rep. 9: 2348. https://doi.org/10.1038/s41598‐019‐38808‐z
[5] Wu X., Rachel C. Nethery, Benjamin M. Sabath, Danielle Braun, Francesca Dominici. Exposure to air pollution and COVID‐19 mortality in the United States., PREPRINT; doi:
https://doi.org/10.1101/2020.04.05.20054502
[6] Liu Y, Ning Z, Chen Y, Guo M, Liu Y, Gali NK, Sun L, Duan Y, Cai J, Westerdahl D, Liu X, 2020. Aerodynamic analysis of SARS‐CoV‐2 in two Wuhan hospitals. Nature,
https://doi.org/10.1038/s41586‐020‐2271‐2273
[7] Setti L., Fabrizio Passarini, Gianluigi De Gennaro, Pierluigi Baribieri, Maria Grazia Perrone, Massimo Borelli, Jolanda Palmisani, Alessia Di Gilio, Valentina Torboli, Alberto Pallavicini, Maurizio Ruscio, PRISCO PISCITELLI, Alessandro Miani. SARS‐Cov‐2 RNA Found on Particulate Matter of Bergamo in Northern Italy: First Preliminary Evidence, PREPRINT, doi:
https://doi.org/10.1101/2020.04.15.20065995
[8] Ong SWX, Tan YK, Chia PY, et al. Air, Surface Environmental, and Personal Protective Equipment Contamination by Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS‐CoV‐2) From a Symptomatic Patient. JAMA. 2020;323(16):1610–1612. doi:10.1001/jama.2020.3227
[9] Guo Z‐D, Wang Z‐Y, Zhang S‐F, Li X, Li L, Li C, et al. Aerosol and surface distribution of severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 in hospital wards, Wuhan, China, 2020. Emerg Infect Dis. 2020 Jul [date cited].
https://doi.org/10.3201/eid2607.200885
[10] Faridi S., Sadegh Niazi, Kaveh Sadeghi, Kazem Naddafi, Jila Yavarian, Mansour Shamsipour, Nazanin Zahra Shafiei Jandaghi, Khosro Sadeghniiat, Ramin Nabizadeh, Masud Yunesian, Fatemeh Momeniha, Adel Mokamel, Mohammad Sadegh Hassanvand, Talat MokhtariAzad. A field indoor air measurement of SARS‐CoV‐2 in the patient rooms of the largest hospital in Iran, Science of The Total Environment, Vol. 725, 2020, 138401, ISSN 0048‐9697,
https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.138401 .
[11] van Doremalen N., Bushmaker T., Morris D. H., Holbrook M. G., Gamble A., Williamson B. N., Tamin A., Harcourt J. L., Thornburg, N. J., Gerber S. I., Lloyd‐Smith J. O., de Wit E., and Munster V. J.: Aerosol and Surface Stability of SARS‐CoV‐2 as Compared with SARS‐CoV‐1,New England Journal of Medicine, 382, 1564‐1567, 10.1056/NEJMc2004973, 2020.
[12] Fears A. C., W. B. Klimstra, P. Duprex, A. Hartman, S. C. Weaver, K. S. Plante, D. Mirchandani, J. Plante, P. V. Aguilar, D. Fernandez, A. Nalca, A. Totura, D. Dyer, B. Kearney, M. Lackemeyer, J. K. Bohannon, R. Johnson, R. F Garry, D. S Reed, C. J Roy. Comparative dynamic aerosol efficiencies of three emergent coronaviruses and the unusual persistence of SARS‐CoV‐2 in aerosol suspensions, PREPRINT, doi:
https://doi.org/10.1101/2020.04.13.20063784
[13] Li Y., Hua Qian, Jian Hang, Xuguang Chen, Ling Hong, Peng Liang, Jiansen Li, Shenglan Xiao, Jianjian Wei, Li Liu, Min Kang. Evidence for probable aerosol transmission of SARS‐CoV‐2 in a poorly ventilated restaurant; PREPRINT; doi:
https://doi.org/10.1101/2020.04.16.20067728