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Europe en transition : les défis de la recherche et de la formation

2 Déc 2021 | Actualités, Groupes inter-alliances, Ouvrages Brochures

Au-delà des approches disciplinaires de la recherche et de la formation, est-il possible de soulever des préoccupations transversales plus systémiques, concernant les grandes transitions : climat, environnement, énergie, alimentation et santé ? Au cours de la dernière décennie, les crises sont de plus en plus fréquentes, plus impactantes et ont tendance à s’accumuler. Elles affectent les modes de vie, de consommation et de production.

Ces périodes de tension renseignent sur les impacts en termes sanitaires, environnementaux, sociaux et économiques et mettent en évidence comment les systèmes sont liés et interconnectés.

Désormais, suffisamment d’observations, de données et d’outils sont disponibles pour modéliser, analyser et mieux comprendre l’impact de ces changements sur l’environnement, la santé, la biodiversité et la société aux différentes échelles spatiales et temporelles.

Le pacte vert (Green Deal) déroule une feuille de route pour rendre le continent européen neutre sur le plan climatique d’ici 2050. Il est le cadre des nouvelles législations proposées par la Commission européenne, afin de permettre la protection et la promotion de la biodiversité, la réduction à zéro des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2050, la promotion d’une économie propre et circulaire par l’utilisation efficiente des ressources, en assurant une « transition juste » où chaque citoyen trouve sa place.

Le paquet législatif européen “Fit for 55” vise à mettre en place les mécanismes permettant de réduire des émissions de gaz à effet de serre de 55% à l’horizon 2050, par rapport au niveau de 1990, nécessitant ainsi une accélération des transitions énergétique, environnementale, sanitaire et numérique, et probablement des bouleversements systémiques majeurs.

Les progrès de la recherche disciplinaire et de l’innovation sont en mesure d’apporter de nombreuses solutions. En revanche, alors que les problèmes sont largement systémiques, les approches de ceux-ci sont souvent menées en silos sectoriels. Les innovations doivent être de plus en plus hybrides, rassemblant un large spectre de technologies et de compétences issues de différentes disciplines. Travailler aux interfaces de différents domaines scientifiques – sciences du vivant, sciences physiques, sciences du numérique, sciences pour l’ingénieur et sciences humaines et sociales – contribuera à dynamiser les innovations systémiques nécessaires pour atteindre une société neutre en carbone et résiliente d’ici 2050.

Sous l’égide du Ministère français de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, les cinq alliances nationales (regroupant les organismes de recherche et universités françaises autour de 5 thèmes transversaux : énergie, environnement, numérique, santé et sciences humaines et sociales) ont produit un document de positionnement qui reflète une vision commune et partagée des nouvelles orientations de la recherche, au service des grandes transitions, notamment en lien avec la discipline académique émergente des sciences de la durabilité.

Les 5 alliances ont identifié des axes de recherche interdisciplinaire majeurs

  • Changement climatique, transition énergétique, société et santé

Le changement climatique et les méthodes de conversion énergétique influencent la santé humaine par plusieurs mécanismes directs et indirects. L’élaboration d’une cartographie de leurs impacts sanitaires est une tâche complexe et multidisciplinaire pour laquelle des efforts de recherche importants sont nécessaires. Il est également nécessaire d’améliorer l’intégration des critères de santé publique dans l’élaboration et l’évaluation des stratégies d’adaptation et de lutte contre le changement climatique. Les grandes transitions environnementales sont l’occasion de progresser sur des questions complexes de santé publique qui n’ont pas encore été abordées. Le rôle et l’impact des politiques de santé publique pour contribuer à une société neutre en carbone doivent également être mieux évalués. La collecte de données pertinentes, des études interventionnelles et des travaux de modélisation prospective multigénérationnelle pour étudier l’impact du changement climatique et des transitions sur la santé sont nécessaires.

  • Émissions négatives de carbone, décarbonation et biodiversité

Plus l’introduction de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre directement liées à l’activité anthropique sera tardive, plus il sera difficile de les compenser. Cela implique non seulement la réduction des émissions mais aussi la mise en œuvre de technologies à émissions négatives (NETs). Parmi les différentes NETs, il est proposé de mettre l’accent sur l’une des plus prometteuses, le stockage de carbone dans les sols, qui consiste à optimiser le transfert du CO2 atmosphérique dans les sols via la photosynthèse en particulier dans les agroécosystèmes, en capitalisant sur la biodiversité des sols. Un effort important de recherche est encore nécessaire pour déployer les solutions à émissions négatives. Les verrous peuvent être d’ordre technologique, économique, mais aussi organisationnel, et sociétal. 

  • Numérique, climat et société

Les impacts environnementaux dus à la forte pénétration du numérique dans la société (fabrication des objets technologiques, traitement et stockage des données, recyclage) sont constatés, préoccupants et souvent partagés.

En même temps, les outils et services numériques jouent un rôle majeur dans les grandes transitions. Face à ces enjeux, des actions, à différentes échelles, peuvent être menées :

  • en encourageant la formation, par des exemples concrets et précis d’impacts environnementaux des technologies de l’information et de la communication, en questionnant les usages,
  • en encourageant la recherche sur l’éco-conception des outils et services numériques, tout en intégrant des objectifs de sobriété (énergie, ressources),
  • par le développement de la recherche en modélisation, optimisation et science des données, dont l’intelligence artificielle, pour construire des outils de prise de décision multi-objectifs et multicritères.
  • Les défis démocratiques dans les transitions

Le soutien et l’engagement des citoyens sont essentiels pour conduire les transitions. C’est la responsabilité de l’interdisciplinarité et de la recherche ouverte : 

  • d’examiner les recompositions sociales, les implications économiques et environnementales des politiques et des dispositifs techniques mis en œuvre à différentes échelles spatio-temporelles,
  • de comprendre les perceptions, les interprétations et les pratiques des populations, 
  • d’étudier, dans une approche comparative, les formes individuelles ou collectives de contribution et d’engagement citoyen,
  • de développer des relations avec les différentes parties prenantes afin de partager les enjeux et résultats.
  • Des enjeux à différentes échelles spatiales

Le territoire, à chaque niveau – individuel, local, régional, national, européen et mondial – est le point de référence pour valoriser la recherche, transférer l’innovation, explorer la viabilité des solutions et préparer leur déploiement. Il incarne les changements – notamment environnementaux, sociaux, énergétiques et numériques – entrepris dans les différentes transitions. Les territoires sont des nœuds dans un système de flux, qui les traversent et les relient entre eux. Les sociétés sont fondées sur ce maillage de liens dont la portée géographique ne cesse de s’étendre. Avec des chocs à venir plus fréquents, les territoires sont à la fois des lieux d’anticipation, de préparation et de résilience. La recherche pourrait aider à proposer des approches disponibles pour gérer les renoncements potentiels dans les choix à faire et fixer de nouveaux objectifs et de nouveaux types de transitions souhaitées (égalité, sobriété, impact environnemental, quel modèle social, etc.).

Par ailleurs, les alliances françaises ont formulé 9 propositions, tant sur les approches méthodologiques que sur l’organisation du système de recherche et de formation.

Propositions méthodologiques – Mise en œuvre dans les 2 ans

  1. Promouvoir des approches systémiques fondées sur la quantification et la qualification multi-dimensionnelles des impacts et des ressources : cela invite à promouvoir des programmes davantage interdisciplinaires avec des critères explicites d’évaluation de ces projets ;
  2. Promouvoir la modélisation systémique, l’intelligence artificielle, pour développer des outils d’aide à la décision ;
  3. Ouvrir le monde de la recherche aux tiers et aux citoyens en particulier : intégrer un large spectre d’acteurs (collectivités, associations, entreprises, collectivités locales…) dans des groupes de recherche plus ouverts ; impliquer les citoyens en tant que partenaires actifs dans les projets de recherche (comme des cohortes de patients ou des associations de patients dans le domaine de la santé, ou des groupes de consommateurs/producteurs dans les chaînes alimentaires ou énergétiques) ; développer des living labs (observatoires) à l’échelle territoriale.

Tout cela nécessite la création d’outils de programmation ad hoc et une capacité de financement incluant des tiers (allant au-delà de la recherche et de l’industrie).

Propositions d’organisation du système de recherche et d’enseignement – Mise en œuvre immédiate

  1. Innover en développant des expérimentations à l’échelle territoriale : créer des expérimentations avec une entrée territoriale, en liaison avec les collectivités territoriales, les groupes d’acteurs locaux, et en ouvrant les différentes options au débat public.
  2. Promouvoir des observatoires et des living-labs transnationaux à moyen ou à long terme, pour évaluer l’impact des NETs sur 5 à 10 ans notamment pour le stockage du carbone dans les sols, pour observer le développement des écosystèmes basés sur l’hydrogène, pour développer une modélisation prospective multigénérationnelles afin d’étudier l’impact sanitaire du changement climatique.
  3. Encourager le développement d’initiatives de recherche particulièrement soucieuses des besoins des jeunes générations pour façonner l’avenir de l’Europe en conduisant des actions de recherche interdisciplinaires ambitieuses.
  4. Promouvoir l’interdisciplinarité dans les systèmes éducatifs (formation initiale et continue, reconversion, formation tout au long de la vie) : les jeunes générations sont en première ligne face aux enjeux du changement climatique à l’horizon 2050 et ont besoin d’avoir les outils pour prendre des décisions éclairées et engager des actions appropriées à ces transformations majeures. Dans cette perspective, la formation et l’éducation des citoyens et des futurs décideurs doivent accompagner ces transitions en intégrant des approches interdisciplinaires (exemple : formation intégrant sciences, technologies et sciences humaines) et systémiques, du primaire au supérieur.
  5. Encourager le développement de formations interdisciplinaires fondées sur le concept du profil en T, en associant des compétences de bases spécialisées (partie verticale du T) à des connaissances plus généralistes et une capacité à mettre en œuvre des approches holistiques (partie horizontale du T), et des formations basées sur deux compétences : sciences + sciences humaines ou technologies numériques + sciences humaines, etc.
  6. Encourager la conception et la mise en œuvre de pratiques pédagogiques innovantes (apprentissage coopératif, apprentissage par résolution de problèmes, jeux sérieux, etc.) sur les enjeux liés aux transformations énergétique, écologique, sanitaire et numérique.

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